Présentation

Thibaut Cuisset commence la photo en 1991 et s’oriente immédiatement vers le photoreportage. Il voyage au Maroc, en Egypte, au Venezuela, en Australie, au Japon ou encore en Namibie. Représenté par la galerie des Filles du Calvaire, sa dernière exposition sur la Somme a été présentée à Amiens en 2012.

Des lieux anonymes sous une lumière impersonnelle, des déserts sous le soleil implacable de midi ; des vides,des terrains vagues comme on dit, des errances, à peine des lieux, tout juste, peut-être, des lieux de passage,qu’on identifie difficilement,des espaces inaliénables – est-ce en Italie ? est-ce en Grèce, en Corse, en Australie,? – qui n’ont en commun, qu’ils soient ville ou campagne, que cette nudité anonyme, cette absence d’identité,qui déroute le regard, qui désoriente.En fait, plus que d’indétermination du temps et de l’espace, il s’agit ici d’atemporalité et, si l’on peut dire, d’aspatialité.L’espace n’est qu’un quasi espace, sans structure déterminée, sans perspective, sans ligne de fuite ; parfois, il apparaît même parfaitement plat, à deux dimensions ; les rares objets présents ne sont eux-mêmes que de quasi objets aux contours imprécis ou comme inachevés, mal définis ; le plus souvent, il s’agit de masse informe, des tas, des amalgames… La déstructuration du temps semble plus profonde encore : il semble qu’on ait retiré au temps les moyens de se dire. Bien sûr, à l’heure solaire, il est midi;mais ce midi est comme retiré du temps. Parce que la lumière, parfaitement blanche et verticale qu’il projette sur le monde,ne donne aucune indication de devenir, ne laisse aucune place à l’expression de la temporalité, ni au pathos de l’éphémère :pas d’ombres, pas de flou, pas de lointain profilé. Il n’y a plus d’espace, il n’y a plus de temps…Ces images d’éternités ordinaires produisent une impression étrange, indécise, oscillant sans cesse entre deux fascinations contraires, l’une, inquiète, sinon tragique, pour cette temporalité non partagée, l’autre euphorique, pour l’incarnation modeste et presque familière que le photographe lui donne.Tantôt donc, ce réel pétrifié, purement immédiat, rivé à un ici et à un maintenant indéfinis, nous apparaît comme une réalité sans devenir, ni avenir, retirée sans gloire, du temps et de l’espace, auxquels nous sommes irréductiblement attachés.

Désespoir d’un non-lieu perdu en dehors du temps et même de l’espace, de rivages, par essence inabordables, inaccessibles,d’un nulle part qui ne nous est rien, qui n’est pas, avec nous, emporté par le fleuve.Désespoir plus grand encore de cette éternité anodine, sans grandeur apparente, d’un tas de cailloux brûlés par le soleil,de broussailles aux contours indécis, de paysages sans perspectives, sans point de fuite évident, sans issues pour le regard.Déserts illuminés, écrasés de lumière. Immuables néants analysés, disséqués par la clarté la plus vive, la plus crue, la plus cruelle.Lumière verticale de tragédie, regard divin auquel rien n’échappe, coup d’oeil de l’au-delà, de l’au-dessus, du Très-Haut,foudroyant, effaçant l’univers, pourtant le plus insignifiant, le plus désolé qui n’en demandait pas tant, violence extrême et gratuite, incompréhensible cruauté des Dieux.L’oeil de l’infini, posé, concentré, sans raison, sur un monde aussi immuable qu’indéfini, indécis, indécidable.

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