L’heure de la renaissance a sonné !

 

« Lorsqu’un homme seul rêve, ce n’est qu’un rêve. Mais si beaucoup d’hommes rêvent ensemble, c’est le début d’une nouvelle réalité. »

Friedensreich Hundertwasser (1928-2000)

 

Un festival photographique ayant pour vocation de mettre en lumière, par la force de l’image, la beauté si fragile de notre planète ? On entend déjà les Cassandre se frotter les mains, sombrer dans leur catastrophisme, clamer que le réalisme écologique a du plomb dans l’aile, qu’il est vain désormais de vouloir prétendre que notre civilisation retrouvera sous peu l’harmonie qu’elle entretenait avec son environnement. Les faits pourraient leur donner raison. En France, les récents mouvements sociaux ont fait passer au second rang le souci légitime d’une transition vers les énergies renouvelables, l’abandon des pesticides ou la sauvegarde du vivant. Des slogans ont été lancés, motivés en premier lieu par l’angoisse d’une paupérisation dans une société à deux vitesses. « Plutôt la fin du mois que la fin du monde ! », a-t-on scandé dans un réflexe de l’angoisse du pouvoir d’achat. En

Europe, le repli protectionniste a engendré le Brexit au Royaume-Uni, la fermeture partielle des frontières en Hongrie, en Autriche ou en Italie, et la vague populiste gagne les esprits par peur de l’autre, cet étranger de la ville d’à côté ou d’un pays lointain qui menacerait nos avantages et nos acquis. Il est loin le temps où

Stefan Zweig, avant 1914, se réjouissait de pouvoir prendre le bateau, le train et se rendre aux Indes, en Chine, en Afrique, à Moscou ou Berlin sans aucune formalité, sans visa, sans passeport. L’homme alors circulait librement.

Aux Etats-Unis enfin, on remet en cause le réchauffement climatique. Et au Brésil, on se réjouit de pouvoir exploiter les terres d’Amazonie. Qu’importe si demain, le poumon de l’humanité suffoquera jusqu’à l’asphyxie !

 

Nous vivons une époque où l’on maltraite le présent, où l’on passe indifférent devant les petits bonheurs sans même les goûter, où l’on recherche le plaisir individuel plutôt que l’équilibre collectif, où l’on jalouse le confort du voisin, où l’on veut tout, tout de suite, sans même faire, au préalable, l’inventaire de nos besoins véritables. La mondialisation est entrée dans une course folle, comme un bolide sans pilote bardé de nouvelles technologies écrasant sur son passage les modèles culturels anciens, s’enivrant d’un miroir aux alouettes, s’aveuglant dans l’accaparement compulsif des richesses de la terre.

 

UN FESTIVAL POUR UNE HUMANITÉ POSITIVE

 

Et pourtant. L’Homme sait savourer l’existence de l’ermite quand il se pose, quand il comprend la vanité de ses créations. Marcher en forêt, écouter le bruissement du vent dans les arbres, pétrir l’argile entre ses mains, sentir l’humus des sols au petit matin, renaître tout bonnement à la vie. Une sensation enfouie au plus profond de chacun et qui resurgit chaque fois que planent trop lourdement les cohortes de corbeaux noirs. Ce refus du fatalisme, cette propension à s’émerveiller du spectacle de la Terre sans en dissimuler ses travers, cette volonté de croire en une humanité positive, sont au cœur des préoccupations de notre festival. Depuis sa création en 2004, il a accueilli les plus grands photographes de notre temps et découvert de nouvelles écritures, avec pour point commun ce même engagement pour la planète. Des artistes exposés en plein air et sur grand format qui transforment, l’espace d’un été, notre village du Morbihan en une immense galerie à ciel ouvert.

 

Cette année, vous l’aurez compris, la 16e édition du Festival Photo La Gacilly montrera, par sa programmation, que, malgré les blessures permanentes faites au monde du vivant, il existe désormais une véritable conscience humaine, plus forte que tous les pouvoirs politiques, pour refuser cette absurdité d’une extinction de la vie. Ne jamais abdiquer, quelle que soit la force qui vous étreint, pourrait être le message délivré par ces photographes dont la puissance créatrice est un véritable hymne à la renaissance.

 

DEVENIR DES SEMEURS D’ESPOIRS

 

« Après la pluie, le beau temps », « Du chaos naît la lumière ». Nos proverbes les plus simples ne souffrent pas l’usure du temps, tant ces adages se sont vérifiés. Souvenez-vous. Le 6 août 1945, les Américains lâchent une bombe atomique au-dessus d’Hiroshima. À proximité de l’épicentre, un vieil arbre se dresse près du temple d’Housenbou. L’édifice est détruit, l’arbre est calciné, tout est mort. Aucune vie sur cette terre irradiée. Si ce n’est, au printemps suivant, une petite pousse qui sort du sol à partir de la souche de l’arbre. Une petite branche qui renaît de ses cendres. Le rescapé est un Ginkgo biloba, surnommé à juste titre « arbre de vie ».

 

Certes, nous avons détérioré notre habitat, c’est un fait. Certes, tout le confort industriel connu à ce jour relève en partie d’un mépris environnemental manifeste. Certes, les pollutions, l’agriculture de masse, l’utilisation des pesticides, la surexploitation des ressources, le déclin drastique des espèces s’accélèrent et compromettent le bien-être des générations futures. La « toile du vivant » s’effiloche, nous avons brisé l’ordre naturel établi, cassé tout un équilibre, mais « vivre sans espoir, c’est cesser de vivre », écrivait Dostoïevski. L’homme s’en aperçoit quand il observe attentivement la nature qui l’entoure, dans ce combat secret, silencieux, inexorable que le végétal ou le règne animal mènent partout autour d’eux pour exister. À l’instar de Pierre Rabhi, le paysan philosophe se décrivant lui-même comme un semeur d’espoirs, nombreux sont ceux qui refusent de capituler face à la fatalité d’une terre mourante. Une véritable lame de fond que rien ne peut arrêter déferle dans nos consciences, relayée par des ONG, par une jeunesse soucieuse des enjeux à venir, par la multiplication des initiatives écologiques et citoyennes et par des artistes, bien sûr, dont le Festival Photo La Gacilly se veut le réceptacle.

 

LA PHOTOGRAPHIE DES PAYS DE L’EST A L’HONNEUR

 

« À l’Est, du nouveau » ? Ce n’est pas un hasard, dans ce contexte, si nous avons souhaité mettre en valeur la puissance créatrice d’une photographie venue de Russie et des pays limitrophes. D’abord parce que cette année 2019 marque le 30e anniversaire de l’effondrement de l’empire soviétique, le début du soulèvement des peuples contre le joug du totalitarisme. Ensuite parce que ce souffle de la liberté s’est accompagné d’une formidable énergie artistique libérée de tout carcan. La photographie contemporaine en a bénéficié et nous avons souhaité faire un focus sur ces talents venus de Russie, de Pologne, ou d’Estonie, encore trop méconnus du public français.

 

Chostakovitch, Tchaïkovski, Chichkine, Chagall, Tolstoï, Pouchkine, dans tous les domaines de l’art, en musique, en peinture, en littérature, la Russie a généré les plus beaux noms du patrimoine culturel. Et la photographie n’est pas absente de ce panthéon artistique, en la personne de Sergey Prokudin-Gorsky. Ce chimiste de profession est l’inventeur de la diapositive couleur et parcourut, avant 1915, l’immense empire tsariste pour immortaliser les peuples d’une terre plurielle. Ses portraits inédits, d’une étonnante modernité, sont exposés à La Gacilly après avoir été restaurés par la Bibliothèque du Congrès à Washington, qui gère cette remarquable collection. Au lendemain de la révolution de 1917, le medium de la photographie passe sous le contrôle de l’état et de la censure soviétique, devenant un instrument de propagande au service de l’idéologie communiste et du culte des grands hommes. Une période d’obscurantisme ? Pas seulement. On n’étouffe pas si facilement le génie des hommes. Alexander Rodchenko est de ceux-là. Certes, ce touche-à-tout à la fois peintre, sculpteur et photographe ne cacha jamais son empathie pour l’Union soviétique, mais son nom reste indéniablement associé au constructivisme dont il fut le précurseur. On pourra admirer son œil révolutionnaire grâce aux tirages aimablement prêtés par le Multimedia Art Museum de Moscou. Refuser la fatalité, conserver cet esprit de révolte glorifié par Albert Camus, c’est ce témoignage, toujours d’actualité, que nous laisse l’immense photographe Josef Koudelka sur la résilience des peuples : en 1968, il photographie l’entrée des chars russes dans sa ville de Prague. Une sélection exceptionnelle, inédite en France, sera présentée, dans une mise en scène grandiose, par ce membre éminent de l’agence Magnum sur les murs de notre village.

 

Quand le communisme s’écroula, quand l’empire soviétique se fissura, une nouvelle génération de photographes se libéra. L’artiste Danila Tkachenko est né quand le mur de Berlin est tombé : il a photographié les vestiges d’un totalitarisme révolu, des villes secrètes qui n’apparaissent aujourd’hui sur aucune carte. L’Estonien Alexander Gronsky s’intéresse, quant à lui, à l’isolement de l’être humain au sein des grandes villes de l’Est, jouant avec des perspectives et une composition qui lui sont propres. Enfin, Alexey Titarenko garde la nostalgie de sa cité natale Saint-Petersbourg, transformée au travers de son objectif en une ville des ombres, traquant ses personnages dans une obscurité diaphane.

 

L’Union soviétique n’est plus, et une constellation de républiques se sont émancipées. Sergey Maximishin, entre ironie et douce folie, nous montre en images ce qui fait l’esprit slave, un mélange d’anticonformisme et de forte influence religieuse orthodoxe. Justyna Mielnikiewicz, en présentant son travail sur l’Ukraine et le Kazakhstan, nous explique comment les mixités ethniques ont construit les identités de ces nouveaux états indépendants. Et puis, parce que notre Festival se fait fort de décrire l’interactivité des populations avec leur environnement, la photojournaliste Elena Chernyshova documente, depuis le début de sa carrière, l’existence de ces hommes et de ces femmes qui ont appris à vivre dans des conditions hostiles, dans ce grand froid russe qui paralyse tout le nord du pays. Quant à Kasia Strek, toute auréolée de ses prix à Visa pour l’Image et de la Fondation Lagardère, elle s’est penchée sur ce qui fait la fierté nationale de son pays natal : le charbon polonais qui fournit encore 80% de l’électricité du pays ! Une industrie en voie de disparition à l’heure des énergies renouvelables.

 

DES PHOTOGRAPHES ENGAGES

 

Année après année, le Festival Photo La Gacilly vous montre ce monde en marche et l’urgence de laisser pour demain une empreinte environnementale durable. Yuri Kozyrev et Kadir van Lohuizen, lauréats du dernier Prix Carmignac du Photojournalisme, ont sillonné durant six mois les nouvelles frontières de l’Arctique, soumis au réchauffement climatique : un constat alarmant sur une nouvelle exploitation des ressources et sur les peuples autochtones qui devront habiter une terre sans glace. Cette fonte des neiges, cette hausse brutale des températures font les affaires de certains, et un tourisme climatique a fait son apparition, photographié avec ironie par Marco Zorzanello, dont nous montrons en exclusivité le travail réalisé grâce à la bourse 2018 du Prix Fondation Yves Rocher remis à Visa pour l'Image. Guillaume Néry, lui, est un militant de la cause des océans : le célèbre apnéiste est surnommé « l’homme qui marche sous l’eau ». Franck Seguin l’a suivi dans son périple à travers les mers du globe pour nous laisser un hymne au monde sous-marin. Avec poésie, Maia Flore, dans des images légères comme ses compositions, nous réconcilie avec cette harmonie que nous nous devons d’entretenir avec la nature. Quant à Valerio Vincenzo, qui mène depuis plus de dix ans un travail sur les frontières européennes, son œuvre laisse songeur sur le message de paix et d’espoir qu’il transmet.

 

Ne jamais abdiquer, avons-nous dit, refuser la notion même d’irréparable. Quand la déforestation s’emballe, quand les observations montrent de vastes zones boisées saccagées, le phénomène inquiète. Pour conserver cet écosystème vital, des initiatives se sont multipliées à travers le monde, soutenues par la Fondation Yves Rocher qui s’est engagée à planter 100 millions d’arbres d’ici 2020 et finance des projets photographiques pour sensibiliser l’opinion à cette démarche de reforestation. Cette année, nous vous dévoilons pour l’occasion les reportages effectués par Juan Manuel Castro Prieto au Portugal, Guillaume Herbaut dans les pays de l’Est, Axelle de Russé au Togo. Cet engagement pour la préservation de notre planète, auprès de ceux qui la protègent, nous le poursuivons sur nos propres terres du Morbihan : avec le soutien du Conseil départemental, Eric Garault est parti à la rencontre de ces sentinelles d’une terre abîmée ; ils sont apiculteurs, éleveurs, ou gardiens d’île mais agissent en héros du quotidien pour endiguer la détérioration de nos milieux naturels. Le Conseil départemental du Morbihan, soutien indéfectible du Festival depuis ses débuts, révèlera également un fonds photographique dont il a la charge : celui d’Alphonse David qui sillonna le département il y a un siècle laissant un témoignage émouvant sur notre département.

 

Nous vous dévoilerons également les nouveaux talents de demain, grâce au partenariat mené avec le magazine Fisheye. Une initiative née il y a quatre ans déjà et devenue un véritable succès auprès du public mettant en exergue les nouvelles écritures photographiques autour de la thématique Nouvelles frontières. Vous découvrirez ainsi le travail de Charles Delcourt, Marine Lécuyer et Julien Mauve, lauréats de cette 4e édition.

 

UNE NOUVELLE CONSCIENCE PLANETAIRE EST EN MARCHE

 

Dans notre musée de verdure de La Gacilly, les murets de pierre, les façades de schiste, les labyrinthes végétaux bordés de feuillus, les espaces industriels à ciel ouvert mangés par l’usure du temps, les jardins plantés de gentianes et d’azalées, servent une fois de plus de présentoir à la photographie. En utilisant ces espaces naturels devenus les cimaises de notre engagement, nous tournons les objectifs vers la réalité d’une Terre menacée mais qu’il convient de respecter. Cette 16e édition du Festival Photo La Gacilly souhaite vous montrer, force de l’image à l’appui, qu’une nouvelle conscience planétaire est en marche, accompagnée par une photographie toujours plus créative, toujours plus engagée, toujours plus lumineuse. Pour vous émerveiller, pour vous interroger, pour ne jamais renoncer. Et toujours avoir foi dans ce sursaut de l’Homme, au nom de la vie !

 

Cyril Drouhet

Commissaire des expositions du Festival Photo La Gacilly