IMAGES D'ESPOIR
« Il ne sert à rien à l’homme de gagner la Lune s’il vient à perdre la terre. »
François Mauriac
L’Histoire se répète, dit-on souvent pour mieux se voiler la face ou se rassurer. L’Histoire, dans ses dérives sanglantes ou ses pulsions obscurantistes, ne doit pas se répéter car elle est alors le triste aveu de l’indignité des hommes. Quand le chaos vient se rappeler, trop souvent ces temps-ci, à nos mauvais souvenirs, on se retranche sur nos inquiétudes immédiates et on repousse à demain une réalité plus lointaine, moins perceptible. Un sentiment bien naturel, si humain, et nul n’est à blâmer. Et pourtant. Il en est ainsi de l’équilibre fragile de notre
planète : on le sait, on le pressent, on a conscience que le monde du vivant se meurt, que nous évoluons dans un ordre environnemental précaire, mais ces troubles et ces dangers qui font la Une de notre actualité viennent occulter cette impérieuse fatalité.
Depuis sa création, le Festival Photo La Gacilly n’a jamais dérogé à sa mission : celle de montrer, sans naïveté et par le prisme de la photographie, les beautés de la nature et la nécessité de la préserver, les solutions apportées pour léguer à nos enfants une terre régénérée, les enjeux d’un monde durable. Sans jamais faire fi d’une réalité parfois dramatique. Le dramaturge Octave Feuillet ne se trompait pas quand il écrivait : « L’espoir est comme le ciel des nuits, il n’est pas de coin si sombre où l’oeil qui s’obstine ne finisse par découvrir une étoile. »
Il en va de même pour la photographie : elle reste sans doute l’outil le plus incisif pour marquer l’opinion publique, pour faire subsister des lueurs d’humanité. Toutes les photographies agissent comme des actes de vérité. Qu’elles soient prises dans un souci documentaire ou artistique, elles sont émotion, viennent figer un instant, et restituent une idée du réel. Elles sont avant tout la marque d’un espoir, celui de la vie, celui de notre foi inaltérable pour des lendemains, sinon plus vertueux, au moins plus soucieux d’une certaine harmonie.
Nous sortons avec peine d’une crise sanitaire qui a bouleversé nos existences, mais les mauvaises ondes semblent s’accumuler, comme si une mauvaise fée s’était penchée sur le berceau de nos illusions : en août dernier, les talibans, ironie de l’Histoire, ont repris Kaboul, vingt ans après avoir été évincés du pouvoir, et règnent à nouveau d’une main de fer sur l’Afghanistan, imposant une fois de plus leur loi islamique sur une population déjà épuisée par plus de quarante années de conflits meurtriers ; fin février, les troupes russes ont envahi l’Ukraine, faisant ressurgir avec horreur des images de guerre que l’on croyait définitivement bannies du sol européen. La folie des hommes, encore et toujours, qui vient ébranler nos consciences et réveiller nos peurs les plus légitimes.
RETROUVER LE CHEMIN DE L’EDEN
Reste que le combat pour gagner la cruciale bataille du climat ne doit pas être abandonné. Certes, la dernière campagne présidentielle en France, au vu de ces évènements tragiques, a mis de côté ces enjeux primordiaux ; certes, la dernière COP26 qui s’est tenue en novembre dernier à Glasgow dans le froid écossais n’a pas tenu ses promesses : en clôturant la conférence, Alok Sharma, président britannique du sommet, n’a pas cherché à faire semblant ; ému aux larmes, il a avoué être « profondément désolé » que ces rencontres pour contenir le réchauffement de la planète n’aient abouti à aucun accord déterminant.
Mais l’urgence est là, implacable. À la fin de ce siècle, la moitié des plantes et des animaux qui existent encore sera éteinte. « L’Eden se retire peu à peu du Jardin », pour reprendre les mots du romancier Pascal Quignard. Les êtres que nous sommes se trouvent désormais confrontés à des situations inédites, à l’heure où la crise climatique déclenche des phénomènes météorologiques de plus en plus extrêmes. Il est du devoir des gouvernants de réduire de façon drastique nos émissions de dioxyde de carbone d’ici à 2030 pour avoir le moindre espoir de limiter le réchauffement de notre planète. Faute de quoi, nos petits enfants pourraient habiter une terre que nous ne reconnaîtrions pas.
Rien n’est perdu. La catastrophe environnementale peut encore être évitée. Comment garder espoir et résister au fatalisme ? Par l’action. Celle, bien sûr, de ces femmes et de ces hommes qui continuent de se battre et d’innover pour préserver notre plus beau bien commun, la Terre. Celle aussi des acteurs et actrices culturels qui défendent le respect de nos territoires, d’ici et d’ailleurs.
Notre Festival se veut résolument témoin et partie prenante de cette démarche : en révélant sans cesse à nos visiteurs les multiples facettes de ce monde en mouvement, en soutenant les initiatives écologiques mais aussi la création photographique, un medium traversé par une crise profonde.
VISIONS D’ORIENT, UNE PHOTOGRAPHIE REBELLE ET ENRACINÉE
Il faut donner un sens à nos vies, et le Festival Photo La Gacilly ne peut pas, en ces temps troublés, occulter une triste réalité : il doit cependant demeurer le réceptacle de tous nos espoirs. Alors, cette année, ce n’est pas sans raison si nous avons souhaité mettre en exergue une région du monde qui, certes, reste placée depuis des décennies sous le feu d’une sombre actualité, mais demeure le foyer d’une civilisation millénaire, d’une créativité artistique unique, abritant des auteurs courageux et d’un modernisme déroutant ayant choisi pour arme la photographie.
Visions d’Orient met en lumière les artistes venus d’Iran, d’Afghanistan et du Pakistan. Trois pays d’Asie du Sud-Ouest qui tous appartiennent à l’espace culturel persan ; trois pays majoritairement musulmans, avec des populations indo-européennes, qui restent soumis aux lois de la religion et de l’obscurantisme; trois pays que l’on connait si mal mais qui ont conquis le coeur de tous les voyageurs s’y aventurant, de Marco Polo à Kessel, de Chardin à Bouvier ; trois pays enfin dont les photographes sont les défenseurs d’une pensée positive, les ambassadeurs de la conscience écologique, les lumières d’un espoir nouveau.
L’Iran reste un berceau de la civilisation. Fondé il y a plus de 2 500 ans, l’empire Perse s’étendait autrefois de la Macédoine jusqu’à l’Inde. Grand pays de la poésie – Hafez a largement influencé Goethe –, mais aussi du cinéma par la qualité de ses réalisateurs, les photographes qui en sont issus ont toujours choisi de briser les convenances pour développer un style novateur. À tout seigneur, tout honneur. Comme chaque année, nous aimons rendre hommage à un grand maître de la photographie. Abbas, Iranien par ses origines, nous a laissé des clichés qui resteront dans l’Histoire. Pour cette première rétrospective depuis sa disparition en 2018, nous avons choisi de montrer comment ce membre éminent de l’agence Magnum a construit une oeuvre puissante, depuis son témoignage sur la révolution iranienne de 1979 jusqu’à son regard, pétri d’humanisme, sur les hommes et les dieux : un voyage entre ombre et lumière.
Dans ce pays que Montesquieu qualifiait d’éclairé, la relève photographique regorge de talents que les musées du monde entier commencent à s’arracher. Dans ces écritures photographiques novatrices où les femmes sont légion, même sous la loi dominatrice des hommes, nous avons choisi de dévoiler le travail de quatre jeunes artistes, tous nés après la révolution islamique et qui ont en commun le souci de leur liberté artistique et une conscience écologique omniprésente. Gohar Dashti n’a de cesse de s’interroger sur notre relation avec notre environnement. Révélée au grand public en 2008 par son travail surréaliste d’un couple dans le quotidien de la guerre, elle nous propose plusieurs séries qui sont autant d’oeuvres radicalement différentes, subtiles,
dans une démarche plasticienne déroutante.
Ebrahim Noroozi, quant à lui, s’est fait connaitre pour son travail journalistique après avoir remporté plusieurs prix au World Press. Mais il sait aborder les méfaits de la crise climatique qui traverse son pays avec une toute autre démarche, artistique cette fois : jouant sur les nuances du rouge et du bleu, dans des couleurs surcontrastées, les figures humaines sont à peine suggérées, spectatrices d’un rêve éveillé face aux méfaits de la lente extinction des eaux. Maryam Firuzi explore aussi l’Iran actuel à sa manière, avec toute son identité,
en interrogeant le statut de la femme dans un univers si masculin : ses différents travaux, dont certains seront exposés en exclusivité à La Gacilly, bouleversent toutes nos notions de la photographie par des mises en scènes savantes qui sont autant de messages sous-entendus.
Comme Noroozi ou Firuzi, Hashem Shakeri est représenté à Téhéran par la Silk Road Gallery, vitrine incontournable de la photographie iranienne contemporaine. Ce jeune artiste de 34 ans sait manier une chromie très particulière, blanche et épurée, qui donne à ses paysages un aspect quasi lunaire. Son regard sur la sécheresse endémique dans la région du Sistan-et-Baloutchistan tout comme sur ces nouvelles cités surgissant du désert nous font découvrir un univers insoupçonné.
Nous l’avions évoqué en préambule, l’Afghanistan ne cesse de s’enfoncer dans les ténèbres et les mots de Yasmina Khadra dans Les hirondelles de Kaboul semblent résonner comme une sentence irrévocable : « Personne ne croit au miracle des pluies, aux fééries du printemps, encore moins aux aurores d’un lendemain clément. Les hommes sont devenus fous ; ils ont tourné le dos au jour pour faire face à la nuit. » Et pourtant. Les clichés de Paul Amalsy que nous dévoilerons sur les bords de l’Aff montrent que rien n’est inévitable. Ce photographe français, disparu en 2003, était un infatigable voyageur qui a traversé tous les pays du monde, sauf la Mongolie aimait-il préciser. Au début des années 1960, il avait effectué en Afghanistan un long séjour et documenté la vie de ce pays qui souhaitait alors s’ouvrir au monde moderne et encourageait la scolarisation : ses images impossibles aujourd’hui de petites filles, les cheveux à l’air, et de jeunes garçons assis ensemble sur les bancs de l’école sont autant de pépites pour la première fois exposées. Et pourtant aussi. Véronique de Viguerie est aujourd’hui l’une des plus éminentes photoreporters. L’Afghanistan, c’est un peu son pays, le premier qu’elle a photographié en 1999, celui où elle a vécu trois ans jusqu’en 2004. Jusqu’à la chute de Kaboul en août 2021,
elle n’a cessé de le sillonner, de le documenter dans ses guerres intestines et son occupation militaire. Nous avons choisi de vous montrer une sélection de ses images loin du tumulte d’un pays dans le chaos, des clichés de la vie d’un peuple qui sont des éclats de paix, des lueurs d’espoir dans des décors à couper le souffle. Et pourtant encore. Les femmes sont des combattantes de la vie. Fatimah Hossaini est l’une d’elles. Cette jeune artiste afghane de 28 ans, à la fois photographe, professeure et activiste, a dû quitter son pays natal après la prise de Kaboul par les talibans. Réfugiée en France, elle défend dans ses images l’audace de la beauté, celle des Afghanes, et, à travers elles, celle de la liberté, de la dignité et de la paix. Et pourtant enfin. Dans ce partenariat que nous poursuivons avec l’Agence France-Presse, maillon essentiel de l’information internationale, nous présentons les clichés les plus émouvants de deux reporters afghans emblématiques de l’AFP : Shah Marai, mort dans un attentat en 2018, et Wakil Kohsar, qui continue de témoigner inlassablement à la tête du bureau de Kaboul. Tous deux ont la même empathie pour ce peuple toujours debout et démontrent que seule la photographie permet de montrer la réalité des choses visibles.
En épilogue de ces Visions d’Orient, cap sur le Pakistan, né d’une douloureuse partition avec l’Inde en 1947 et pays frontalier avec l’Afghanistan. Territoire musulman parsemé de nombreuses ethnies, il reste un pays mystérieux, empli de paradoxes, entre traditions ancestrales et sursauts de modernité.
Peu ouvert à la photographie, nous avons choisi de le découvrir par l’entremise de Sarah Caron : cette photographe française y réside et en a découvert toute sa complexité dès 2007. Le Pakistan, dans son regard, est une mosaïque de courants contradictoires : des villes fourmilières, des paysages montagneux enclavés et déserts, une jeunesse citadine provocatrice, une société rurale conservatrice, un voyage au bout de la confusion.
DESSINER LE MONDE DE DEMAIN
Nous l’avons dit et répété, le Festival Photo La Gacilly s’est toujours attaché, depuis son origine, à montrer les ferments de beauté qui unissent l’homme à la nature. Parce que la biodiversité est garante de notre vie sur terre, parce qu’elle est partout menacée par notre soif de développement incontrôlé, parce que nous avons un devoir de la préserver pour assurer la pérennité des générations futures, la Fondation Yves Rocher, soucieuse d’oeuvrer pour le monde du vivant a lancé une nouvelle campagne photographique d’ici 2024. L’objectif : alerter, mobiliser et témoigner sur la fragilité de ces sanctuaires vivants à travers le monde. La première partie de ce programme sera dévoilé cet été à La Gacilly avec le travail au long cours exceptionnel, réalisé par Mélanie Wenger sur les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Ces îles abritent des écosystèmes uniques au monde, les plus grandes colonies de manchots royaux, le plus grand glacier de France, et même une minuscule forêt primaire inviolée. Un joyau au chevet duquel se penche toute une communauté de scientifiques. En complément à cet éloge de la beauté, nous exposerons le travail de toute une vie, une ode à la nature, avec les si poétiques tableaux photographiques en noir et blanc de Bernard Descamps. Les oeuvres de ce magicien de la composition, ses vues du ciel et de la mer, ses forêts épaisses mais si légères, ses chaînes montagneuses aux parois abruptes, semblent échapper au temps et à la main de l’homme.
Lauréat 2021 du Prix Photo Fondation Yves Rocher, en partenariat avec Visa pour l’Image, Gabriele Cecconi nous emmène loin de ces terres intactes. Bien au contraire. Il s’est rendu au Bangladesh dans ces camps de fortune bâtis par ces centaines de milliers de Rohingyas qui ont fui les persécutions dans leur pays d’origine, la Birmanie. Ces misérables n’ont eu d’autre choix que de construire un avenir en se servant des produits de la terre qui les héberge, abattant les forêts pour construire leurs abris et puisant dans des ressources naturelles déjà exsangues.
Autre méfait, autre lieu : la République démocratique du Congo. Depuis des décennies, ce pays d’Afrique voit ses richesses exploitées par des compagnies internationales et les déchets s’accumuler. Recouverts de ces détritus à la manière des masques traditionnels, une génération d’artistes a décidé de dénoncer cette souillure faite à la nature. Stephan Gladieu les a photographiés dans le décor des rues de Kinshasa avec tout son talent de portraitiste. Cette pollution que l’on condamne et que, souvent, on ne voit pas dans nos pays occidentaux, se répand sur tout le subcontinent indien. Dans le cadre toujours de notre partenariat, Money Sharma, photographe de l’AFP, a parcouru son pays plus que jamais dépendant du charbon. La capitale New Dehli s’asphyxie jour après jour, les mines à ciel ouvert contaminent toute une population et rien ne semble changer : il faut creuser toujours plus et à n’importe quel prix.
Engagé, notre Festival l’est plus que jamais dans les missions environnementales qu’il souhaite définir. Et c’est dans cette perspective que nous avons souhaité nous associer au combat de Reporters sans frontières, ardent défenseur de la liberté des journalistes. Pour célébrer le 30e anniversaire de leur revue mettant à l’honneur les plus grands noms de l’image fixe, cette institution sortira un album présentant 100 photos de 100 photographes autour de la thématique de… l’arbre, emblématique de notre combat pour l’environnement. Des clichés qui seront exposés sur les murs de notre village.
SOUTENIR LA CRÉATION PHOTOGRAPHIQUE
Soutien indéfectible de la photographie, et de celles et ceux qui ont la nature chevillée au corps, le Festival Photo La Gacilly accompagne des projets tout au long de l’année. Antonin Borgeaud, qui sait mêler une écriture autant poétique que documentaire, s’est immergé cet hiver dans les îles du Golfe, avec le soutien du Conseil départemental du Morbihan. Un univers entre terre et mer pour montrer le rapport que les hommes entretiennent avec ce territoire fragile.
Se soucier de notre territoire breton, mettre en exergue celles et ceux qui tissent le maillage de notre espace rural, c’est toute l’ambition de la résidence Ruralité(s) qui, pour cette deuxième année, a donné carte blanche à la sensibilité de Jérôme Blin : il a souhaité s’attarder sur cette jeunesse des campagnes à l’heure des choix, rester ou tout quitter, peut-être pour mieux revenir. Et puis, pour la 7e année consécutive, nous nous associons avec Fisheye dans le cadre du Prix Nouvelles écritures de la photographie environnementale. L’objectif ? Récompenser les talents émergeants qui sensibilisent les publics aux changements climatiques. Trois photographes ont été distingués. Alisa Martynova fait évoluer ses sujets dans des paysages incertains oscillant entre un rouge sanguin et un bleu froid. Maxime Taillez, avec humour, s’attarde sur ces nouvelles frontières de l’espace Schengen, ces contours devenus imaginaires entre des États pacifiés. Chloé Azzopardi, dans un harmonieux écosystème, célèbre un univers apaisé où il fait bon vivre.
Enfin, nous continuerons d’accueillir sur nos cimaises le Festival Photo des collégiens du Morbihan : pour cette 11e édition, 350 élèves se sont interrogés en images sur la notion de l’ouverture, une valeur plus que jamais d’actualité dans une époque qui tend à accentuer les individualités.
Pour notre 19e édition, rien ne peut nous faire dévier du sillon que nous avons tracé. Plus que jamais, nous voulons faire la part belle à ces photographes qui nous transmettent par leurs clichés autant de germes d’espérance. Dans les galeries à ciel ouvert de notre village breton, dans nos venelles, dans nos jardins, sur les murs de nos ruelles, leurs oeuvres sont exposées pour nous émerveiller, pour aider à réfléchir, pour nous émouvoir, pour susciter nos colères comme notre empathie, pour nous convaincre qu’il faut toujours aller par le chemin le plus court, et le plus court est le chemin tracé par la nature.
Cyril Drouhet
Commissaire des expositions du Festival Photo La Gacilly